Mario Yepes, 32 ans, défenseur central du Paris SG est, avec Ivan Ramiro Cordoba (Inter Milan), l'un des deux moteurs de l'Association colombienne des footballeurs professionnels (Acolfutpro). Passé par Tulua et le Deportivo Cali, avant de filer à River Plate et Nantes, Yepes n'a pas oublié les conditions de vie scabreuses et complexes des joueurs colombiens restés au pays. Lui qui a remporté avec la seleccion nationale, la Copa America 2001, le seul titre que la Colombie a gagné, ne sera pas sur la pelouse du Stade de France le 3 juin. Le courant avec Jorge Luis Pinto, le sélectionneur, ne passe pas très bien et peut être aussi, estime-t-on dans son entourage, que «sa mise à l'écart est une conséquence de l'action qu'il mène en faveur de ses compatriotes. Tout est possible en Colombie.» Quatre ans après la naissance de l'Association, Mario Yepes fait le point sur les changements et les progrès obtenus.
«Mario Yepes, être professionnel en Colombie est toujours aussi difficile ?
On est parti de rien pour en arriver aujourd'hui, grâce à notre association Acolfutpro, à faire reconnaître certains droits élémentaires, avec des statuts qui protègent les joueurs. Mais ce n'est pas encore satisfaisant. On se bat pour que le règlement FIFA sur les droits des joueurs soit appliqué. Et chez nous, ça se fait encore à la colombienne. C'est à dire qu'un joueur colombien est toujours peu de choses. Et qu'il peut recevoir encore des pressions.
Concrètement qu'avez-vous obtenu ?
Il n'y a pas si longtemps, quand un joueur signait son contrat pro, il ne signait pas avec le club mais avec le patron du club et c'était à vie. Il était l'ouvrier du patron. Le jour où il ne plaisait plus à son patron, il n'était plus payé et il n'avait aucun recours. Et s'il se décidait à changer de club, il le fallait bien pour gagner sa vie, il devait alors signer un papier d'abandon de dette, sinon, la fédération ne lui délivrait pas de nouvelle licence. Pendant très longtemps, les patrons ont aussi oublié de déclarer les joueurs qui n'avaient pas de sécurité sociale. áa, on l'a gagné. Mais il y a encore trop d'arbitraire. La prochaine étape c'est d'obtenir l'application du règlement FIFA.
Récemment le grand quotidien national El Espectador a publié les salaires de tous les joueurs de Millonarios, l'une des plus anciennes équipes de Colombie. áa va de 11.300 euros pour le plus haut salaire à 200 euros pour les plus bas. Le football colombien est si pauvre que cela ?
Là on touche à un problème social. La pauvreté en Colombie atteint toutes les couches de travailleurs. Certains joueurs de foot ne sont pas épargnés. Un salaire de 200 euros chez nous, pour un travailleur, c'est le minimum salarial. Peut-on vivre avec 200 euros ? Non bien sûr. Par le biais d'une convention collective, on cherche aussi à améliorer les conditions de vie des professionnels les plus modestes.
La solution de l'exode, que vous avez choisie, touche aujourd'hui 70% de la jeune génération qui évolue en équipe nationale.
A terme, si tous les meilleurs joueurs quittent le pays, cela ne risque pas de dénaturer votre championnat ?
Mais l'idée de devenir un jour professionnel en Europe doit être l'objectif de nous tous. C'est là que se pratique le meilleur football. C'est là qu'on a envie de jouer. C'est une forme de reconnaissance du talent, de la notoriété et pas seulement pour les joueurs colombiens. Tous les joueurs sud américains ont le même but. Mais il n'y a pas beaucoup de joueurs colombiens dans les grands championnats européens. Une dizaine, grand maximum, sont titulaires en Espagne, en Italie ou en France. C'est là qu'on se rend compte du chemin à parcourir.
La Colombie, qui ne s'est pas qualifiée pour les deux dernières Coupes du monde, semble mieux partie dans les qualifications 2010. Elle est invaincue après quatre matches. A-t-elle des chances d'aller en Afrique du Sud ?
Il y a de nouveaux talents, de jeunes joueurs sur qui s'appuyer. Techniquement, ils démontrent de réelles capacités. Je pense qu'on peut y arriver. Mais le chemin est encore long.
Vous sentez-vous encore capable de leur donner un coup de main ?
Je n'ai jamais dit que je raccrochais et je suis toujours motivé pour porter le maillot de l'équipe nationale. Le sélectionneur préfère en appeler d'autres. Je respecte son choix mais je sais que je peux encore beaucoup apporter même à 32 ans. La charnière centrale actuelle – Mosquera-Moreno – n'est pas si jeune non plus. Et puis, dans ce match amical contre la France, pour moi qui suis "parisien", j'aurais tellement aimé être au milieu des miens sur la pelouse du Stade de France… »