marque déposée, une référence internationalement établie. Comment en
est-on arrivé là ? Comment cet antagonisme a-t-il été artificiellement
créé, manipulé puis entretenu ?
Nous sommes le 17 décembre 1992. ì la veille dun PSG-OM déjà très
attendu, les déclarations exceptionnellement belliqueuses de
lattaquant parisien David Ginola barrent la Une des pages sportives de
tous les quotidiens : « Vendredi, ça va être la guerre ! » Le jour du
match, Artur Jorge, entraîneur portugais du Paris Saint-Germain et
homme habituellement très réfléchi, se lâche à son tour : « On va leur
marcher dessus¦ LOM va vivre lenfer. » Artur Jorge et David Ginola ne
réalisent sans doute pas la portée de leurs paroles. Les Marseillais
ont reçu le message cinq sur cinq : les 46 000 spectateurs du Parc vont
assister à un règlement de comptes dune rare violence. Le choc PSG-OM
bascule dans une autre dimension. Il devient « le derby de France ».
ì laube de la saison 1992-93, Canal Plus veut en effet passer à la
vitesse supérieure. Le recrutement est prestigieux : Lama, Roche,
Guérin et Weah rejoignent les Ricardo, Valdo, Le Guen et autres Ginola.
Lambition est claire : prendre la place de lOM. Pour y parvenir, les
dirigeants du PSG souhaitent développer une identité propre, à tous les
sens du terme. Depuis plusieurs saisons, le club phocéen traîne
derrière lui une réputation sulfureuse. Bernard Tapie se voit souvent
reprocher ses paroles à lemporte-pièce et ses supposées méthodes
troubles. Le comportement des joueurs est également stigmatisé, sur le
terrain, comme lillustre laffaire de la canette jetée sur Jean-Pierre
Papin à Saint-ðtienne, comme en dehors. Marcel Desailly avoue
aujourdhui certains actes prémédités contre des joueurs parisiens : «
Il y avait de la haine contre quatre ou cinq joueurs den face qui nous
déplaisaient fortement à cause de leurs déclarations, de leurs
attitudes¦ On se disait entre nous : « Ceux-là, si on peut leur mettre
une gifle¦ » Les gars avaient carte blanche. Mais je ne vous donnerai
pas de noms. »
Lama : « Ils étaient plus guerriers que nous, voire plus voyous »
Souvent mis en cause, ðric Di Meco se passerait bien de cet
encombrant fardeau : « Les matchs de lépoque, je ne les montrerais pas
à mon fils. On en a trop fait. Les taquets que jai mis à Colleter,
Sassus et Ginola, ce nest vraiment pas un titre de gloire pour moi.
Quand je vais dans les quartiers pour mon boulot à la Mairie, les
gosses men parlent : « Putain, quest-ce que tu leur mettais aux
Parisiens ! » Franchement, ça me gêne. Je nen suis pas fier. » Les
nouvelles ambitions du PSG agacent prodigieusement Bernard Tapie. Aux
yeux du président de lOM, un rival, cest bien, mais un prétendant au
trône, cest trop, surtout sil vient de lIle-de-France, sa région
natale (¦) Soutenu par le « peuple marseillais », Tapie transforme le
club de la capitale en ennemi n°1. « Avant les matchs contre le PSG, il
avait un discours, disons plus tonique, se souvient Desailly. On
sentait quil en faisait une affaire personnelle, quil fallait
absolument quon gagne. Pour des gens de pouvoir comme Tapie, le foot,
cest un jeu. Une victoire de lOM, cela lui permettait dêtre à
laise, de briller dans son environnement de businessman une fois
revenu à Paris. »
Aujourdhui, lancien président de lOM reconnaît bien volontiers
cette gestion toute personnelle des ressources humaines. Mieux, il la
justifie : « Un événement de taille doit être géré différemment. Mon
attitude avec les joueurs au moment de ces matchs-là, elle doit être
différente. Il faut motiver les joueurs, les faire se transcender. Je
créais avec la tchatche les conditions idéales à la préparation dun
événement hors du commun. » La méthode « BT » est approuvée par Di Meco
: « Notre grinta, dit-il sans hésiter, cest ce qui nous a permis de
nous hisser au niveau des meilleurs en Europe, et à la France de gagner
la Coupe du Monde 1998. » « Ils étaient plus guerriers que nous, voire
plus « voyous » que nous, admet lancien gardien parisien Bernard Lama.
En fait, cest un match qui se jouait sur les nerfs. Et de ce point de
vue-là, ils étaient plus costauds. » Résultat : dans les années 90,
sous la présidence de Bernard Tapie, lOM ne sinclinera jamais devant
le PSG version Canal+. Six matchs, trois victoires, trois nuls. Une
domination si évidente que Vincent Guérin en vient à sinterroger : « ì
chaque fois que jai joué contre Marseille, je nai jamais eu un
soupçon daide ou de chance de la part de larbitre, dans quelque
domaine que ce soit. Cela a toujours été inversé, même à Paris.
Dailleurs, nous navons jamais eu de penalty à Marseille alors quon
aurait pu en avoir. Je me souviens aussi dun match à Metz. LOM avait
perdu la veille, on devait donc être à un point. On mène 1-0 et on a
pris deux penalties¦ Je me pose encore la question. Pour moi, cétait
bidon (¦)
Boli : « Celui qui dit quil navait pas peur raconte des sottises »
En quelques mois, un environnement particulièrement hostile se
développe autour des matchs. Compétiteur-né, lancien Marseillais
Basile Boli reconnaît que « lambiance était tellement tendue quon
avait forcément peur. Celui qui dit le contraire raconte des sottises.
Une année, en arrivant au Parc des Princes, notre bus a été mitraillé
de pierres. On navait jamais vu ça, certains joueurs se sont mêmes
planqués sous leur siège ! Cétait fou, on avait vraiment limpression
dêtre à la guerre. » Dans le camp den face, Francis Llacer raconte à
peu de chose près la même mésaventure : « Cétait en 1991, pour mon
premier déplacement au Stade-Vélodrome. Nous avions dû changer de bus
pour quitter le stade car celui que nous avions pris à laller avait eu
toutes les vitres brisées. Les supporters de lOM nous attendaient
comme des pigeons pour nous allumer. Au retour, ce fut la même chose.
Nous avions dû nous protéger avec nos sacs de sport et à notre arrivée
à laéroport, seuls les deux rétroviseurs avaient par miracle été
épargnés ! »
Pour Bernard Lama, pas de doute, « ce match est lun des plus chauds
au monde, même sil y a moins dexcès quen Afrique ou en Amérique
latine. ì Marseille, il nous est arrivé de sortir de lhôtel par une
porte dérobée, avec des flics fusils à la main pour nous protéger. En
Grèce ou en Turquie, je ne me suis jamais senti en danger. ì Marseille,
oui, une ou deux fois, cela craignait vraiment, cest pour dire… »
Baignant dans cette passion frénétique, les joueurs, « dopés par la vox
populi », selon la formule de Di Meco, se sentent investis « dune
mission suprême » qui les pousse à franchir les limites de
lacceptable. « Les gens ne parlaient que dOM-PSG, se souvient
lancien défenseur olympien. Quinze jours avant le match, si je sortais
le soir au restaurant,
les gens me disaient : « ðric, mais quest ce que tu fais là ? »
Cétait une grosse pression qui venait sajouter à celle de Tapie. »
Entre le fameux OM-PSG de mai 1989 et le match du 18 décembre 1992, le
football français a considérablement évolué. La mutation dun sport
quasi amateur vers un lucratif foot-business est bien entamée. Les
enjeux financiers, avec lapparition des droits TV, ont pris une toute
autre dimension. Enfin, grâce notamment aux performances de lOM en
Coupe dEurope, le foot est en passe de conquérir un public beaucoup
plus large. Flairant la bonne affaire, les médias se ruent sur la
rivalité croissante entre les deux principaux clubs du pays. Amusés et
sans doute flattés par cet engouement populaire et médiatique, joueurs
et dirigeants se laissent aller et ils ne réfléchissent plus du tout à
la portée de leurs déclarations. Les OM-PSG prennent alors une nouvelle
dimension¦
ì lorigine, le terme derby était employé en Angleterre
en référence au match de folk football (un mélange de rugby et de
football sous leur forme actuelle) qui opposait deux paroisses de la
ville de Derby, All Saint et Saint Peter. Par la suite, son emploi fut
généralisé à toutes les rencontres entre clubs dune même ville puis,
récemment, étendu aux matchs entre clubs de villes se disputant
diverses supériorités (régionale, nationale, économique, ethnique,
religieuse, sociale, etc.).
Peu avant une rencontre de championnat entre lAS
Saint-ðtienne et lOlympique de Marseille, un supporter des Verts jette
une canette sur Jean-Pierre Papin à sa descente du bus. ðvacué sur une
civière, « JPP » ne participe pas à la défaite de son équipe (1-0). Une
polémique sur lauthenticité de sa blessure éclate mais le match est
donné à rejouer quelques semaines plus tard et se termine sur le score
de 1-1, but de¦ Papin pour lOM.